15/03/04
14:47 De Peer en Pire, taxes et autres Major(ation)s
Suite à l'actualité riche et fournie sur le - devenu éternel - débat concernant le piratage audionumérique et sur les dernières mesures législatives mises en oeuvre (cf. plus bas), voici mon avis ainsi qu'une petite mise au clair de certaines choses.
Bref état des lieux
Commençons par un petit rappel historique : nous sommes en 1983, et le CD Audio vient d'être lancé auprès du grand public. Le prix de vente de l'époque est cher (130 FF), mais on nous explique que le coût du CD se justifie par l'achat de nouvelles presses et équipements onéreux à amortir rapidement. Plus de 20 ans plus tard, le prix du CD n'a pas beaucoup évolué. Pourtant les presses et autres équipements ont largement eu le temps d'être amortis, eux.
Concentrons-nous maintenant sur la répartition du prix d'un CD [source]. La maison de disques s'approprie plus de 50% du prix. Pourquoi ? Pour les frais d’enregistrements, la fabrication du disque (en moyenne de 0,50€ à 0,70€), la promotion et enfin... leur marge [source]. La part pour les auteurs/interprètes, ceux injustement spoliés par le piratage est d'à peine 25% du prix d'un CD.
MP3, Internet et la situation actuelle
Depuis l'avènement du Haut Débit, les Majors hurlent au piratage des oeuvres musicales (ainsi que cinématographiques). Principal visé, le P2P, donc l'internaute lambda. Dans sa rage face aux profits perdus (nous reviendrons plus tard sur cet aspect), tous les moyens sont bons pour que l'internaute cesse ses échanges intempestifs de fichiers non souhaités par les Majors. Tandis que d'un côté de l'atlantique la RIAA multiplie les procès envers les utilisateurs de P2P [source], utilisant des méthodes dignes de la mafia [source] et/ou conduisant à des procès contre elle [source], de l'autre côté, la SACEM travaille d'arrache-pied avec le gouvernement. Cette collaboration a donné naissance à la taxe Brun-Buisson, qui taxe les CDs vierges, ainsi que les disques durs de baladeurs. A noter que cette taxe refait parler d'elle car le constructeur de l'iPod, Apple, refuse de la verser [source].
Attardons-nous un peu sur cette taxe. Si dans le principe elle reste compréhensible (après tout, les cassettes audio vierges étaient taxées de la même façon), il subsiste un problème majeur : le CD vierge peut servir à stocker autre chose que de la musique. Prenons un exemple simple : je pars au Japon, et prends plusieurs centaines de clichés grâce à mon appareil photo numérique. Lorsque je grave mes photos pour les donner à mes amis, je suis taxé sur "le droit à la copie privée d'oeuvres audio" alors que le CD taxé ne comporte pas un seul son !
Les cassettes audio ne présentaient pas ce risque, puisqu'on ne pouvait copier autre chose que du son sur ce support (bien qu'on puisse s'interroger sur le bien fondé de donner de l'argent à la SACEM lorsqu'on enregistre sa propre voix...).
Il faut sauver le soldat Major
Il semblerait que cette taxe ne suffise plus à la SACEM. En effet, le projet de loi L.E.N. qui a déjà fait couler beaucoup d'encre, continue à faire parler de lui, via une taxe sur l'upload [source 1, source 2]. L'idée est simple : taxer tout ce que vous envoyez sur internet vous forcera à limiter vos envois, donc vos fichiers pirates. Notons déjà que cette assimilation internaute = pirate est plus que gênante, puisqu'on vous sanctionne non pas sur ce que vous faîtes, mais sur ce que vous pourriez faire. Ensuite, il faut savoir que, ne serait-ce que pour surfer sur internet, et donc voir ce blog, vous avez envoyé des données. Certes, cet envoi de données est minime, mais il existe quand même. De plus certaines activités tout ce qu'il y a de plus légales nécessitent un important envoi de données : c'est le cas notamment des jeux en réseaux. Vous passez votre soirée sur Counter Strike, et vous voilà taxé pour aider l'industrie du disque. Aberrant non ? Sans parler des coûts que cette taxe entraînera en infrastructures auprès des fournisseurs d'accès internet...
Mais il faut bien aider ces pauvres auteurs/compositeurs/interprètes, pillés par des méchants internautes sans scrupules...
Le soldat Major est-il vraiment en perdition ?
Les pertes annoncées par les Majors ont effectivement de quoi donner le tournis. 150 millions de titres téléchargés par mois selon Pascal Nègre, PDG d'Universal Music France [source]. En y regardant de plus près, cette perte annoncée est-elle effective ? Qu'est-ce qui prouve que les titres téléchargés auraient été achetés ? Absolument rien. Le téléchargement est souvent le moyen d'écouter de nouveaux artistes sans avoir la mauvaise surprise d'avoir déboursé 20€ alors que le disque ne nous plait pas. Quid de la vente effective de disques ? Contrairement à ce que clament nos amies les Majors, elle va très bien, elle, merci. L'année 2003 fut la quatrième meilleure année de tous les temps concernant la vente de disques [source 1, source 2, source 3]. On notera au passage qu'avec +55%, le marché du DVD se porte très bien lui aussi. Certains internautes vont même jusqu'à affirmer que le téléchargement de titres sur internet leur a permis de découvrir puis d'acheter des CDs qu'ils n'auraient pas acheté auparavant.
TVA trop chère
Devant tout ce manque à gagner, les Majors semblent avoir compris que le prix du disque était trop élevé. D'où la volonté de baisser le prix de celui-ci... en baissant la TVA ! Hors de question pour elles de toucher à leurs marges, bien entendu... Pour information, le disque a déjà subi une baisse de TVA en 1987, faisant passer cette dernière de 33.6% à 19.6%. Le prix de vente avait lui baissé de 8%. Quant aux 6% restant ((33.6 - 19.6) - 8 = 6), ils sont partis dans les poches... des Majors et autres réseaux de distribution [source].
Et vous le futur, vous l'imaginez comment ?
Manifestement, le modèle économique actuel du disque est en train de s'effondrer. Les Majors tentent, par des lois liberticides et des actions plus que répréhensibles, de sauver les meubles. Mais pour combien de temps encore ?
Certains artistes l'ont bien compris, et s'auto produisent sur internet. D'autres, comme George Michael, ont décidé qu'ils avaient assez d'argent pour vivre, et proposent dorénavant leur musique gratuitement [source].
Les Majors payent en quelque sorte leur laxisme sur (au moins) les vingt dernières années. Maintenant que la musique est disponible gratuitement, il sera très compliqué de faire machine arrière, la boite de Pandore ayant été ouverte.
Pour ma part, j'imagine assez bien d'ici quelques années, un système de CD disponibles en grande surface pour 5€, téléchargeables gratuitement sur internet, mais avec des prix de places de concerts augmentés de 5€ (par exemple). Car c'est bien pendant les concerts que l'artiste est vraiment payé : au sens premier du terme, grâce au cachet, et au sens second, avec la communion du public. N'oublions pas que pour la majorité des artistes, ce qui leur donne envie d'exercer ce métier, c'est la rencontre avec le public sur scène. Bien entendu, il y aurait une sorte de "fond commun" pour les artistes ne pouvant assurer de concerts.
Même si ma vision est utopiste, elle a le mérite de baisser le prix des disques, sans pour autant affaiblir la rémunération des artistes...
En conclusion, je vous invite à lire ce débat, daté de 1999, qui, en plus de reposer les choses à plat, et de résumer d'une manière générale mon opinion, bénéficie grâce à l'actualité d'un éclairage nouveau et non inintéressant.
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