21/12/08
14:51 Bribes des 4 derniers jours
Pour faire dans l'inhabituel, post long (et chronologique).
Les femmes sont dans la chambre, cajolant le bébé. Pendant ce temps, nous sommes cinq hommes, assis sur un canapé, à fixer un écran d'ordinateur. Dessus passe les vidéos de Rémi Gaillard. Les rires sont gras, emplis d'alcool. La soirée se devait d'être marquante : le couple nous recevant déménagera quelques jours plus tard. Pour l'occasion, champagne, noyé au milieu des bières, du vin blanc, du vin rosé. Les sujets de discussion passent des concerts aux séries tv, de la recherche d'emploi à la création d'entreprise. Je me sens bien, je suis dans mon élément. Sauf que la personne qui m'a permis de rentrer dans ce groupe est maintenant absente depuis plus d'un an. Et que sans elle, jamais je ne les aurai rencontré. Jamais je n'aurai imaginé pouvoir devenir un ancien camarade de classe d'une classe où je n'ai jamais mis les pieds. La vie est parfois imprévisible, le bonheur éphémère, ça vaut bien un verre de plus, non ?
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Assis sur le sol, je tremble. La salive est encore chaude dans ma bouche, pourtant j'ai froid. Je jette un oeil par dessus la cuvette et contemple le liquide verdâtre. J'ai été bilieux. Il est midi. L'heure d'ingurgiter. La sueur sèche sur mon front. Je me sens mieux. Et mieux je me sens, plus j'ai du mal à imaginer comment j'ai fait pour aller travailler dans cet état. Les vacances sont demain soir, en attendant il faudra tenir...
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Il est minuit passé. Nous sommes dehors pour discuter. Le vacarme assourdissant de la boite de nuit à côté fait un bruit de fond. Par dessus, j'entends la personne qui a failli me précipiter 5 mois dans Paris me dire "au fait, bonsoir !". Je réponds à peine. Je suis déjà absorbé par une discussion, qui sera moins superficielle et empreinte de l'hypocrisie des collègues de travail. Quand deux célibataires endurcis par défaut ont des choses à partager, le reste devient accessoire. Il ne fait étonnamment pas si froid que ça. Etant à jeun, je peux avoir confiance dans mes sensations. La pluie commence à tomber. On se réfugie sous le porche, tandis qu'un collègue passe devant nous en hurlant dans son téléphone des indications incompréhensible. Difficile de savoir si l'interlocuteur est réellement "pas doué". D'autres personnes nous rejoignent. Certains collègues ont la particularité d'être aussi des amis. Ce type de soirée est pour moi une occasion en or pour les revoir. Je ne m'adresse pratiquement qu'à eux. Et m'évite ainsi les discussions ennuyeuses sur le bilan annuel, plutôt bon. Mais il est tard messieurs, il faut que je rentre...
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Je suis en bout de table. Dans les derniers arrivés, la faute à mon chef, travaillant décidément beaucoup trop. Je ne connais pour ainsi dire personne. Après tout, je ne croise ces visages que depuis un mois et demie. Pour me mettre à l'aise, mon chef plaisante sur mon statut de sous-traitant. Je saisi la balle au bond. J'observe, j'écoute. Je parle très peu. Ma place est ici sans y être. Théoriquement je ne devais déjà plus travailler ici depuis presque une semaine. Mais de prolongements en prolongements, de satisfactions des personnes pour qui je travaille en négociations commerciales dans mon dos, je sais que je serai sur place jusque fin janvier, et sauf gros cataclysme, jusque fin mars. Alors je fais un effort d'intégration.
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Elle a manifestement trop bu. Deuxième bouteilles de rosé à 5, sachant qu'elle a participé préalablement à un cours de confection d'apéritifs, rien d'étonnant. Je ne la connais pas. Je ne connais pas non plus son copain. Je demande à ce dernier "elle est toujours comme ça ?". Il me répond par l'affirmative, avec fierté. Fierté que j'ai du mal à comprendre. Les propos qu'elle tient me révulsent tellement que je ne sais comment lui montrer à quel point ils sont incohérents. Du coup je me tais. Et me sers à boire, tandis qu'un ami à ma droite tente de débattre avec elle. Comment débattre avec quelqu'un capable de dire "je n'aime pas mon pays, on manifeste pour tout, sans savoir pourquoi. Moi je suis pour la retraite à 80 ans. Je paye trop d'impôts. Dessus il y a peut-être quelques familles pauvres, mais il y a surtout beaucoup de profiteurs du système. C'est toujours la classe moyenne qui trinque. Avec mon copain on est peut-être cadre, on gagne peut-être bien notre vie, mais on fait les heures pour. Et après on se retrouve à payer plus d'un mois de salaire dessus ! Les lycéens me font bien rire, à vouloir conserver notre culture, vouloir garder le latin, alors qu'on parle en SMS maintenant. De toutes façons on a plus notre lustre d'antan. On a toujours été à la ramasse, on se croit encore fort mais on ne l'est plus. Les jeunes savent plus écrire correctement, c'est n'importe quoi. Sarkozy ne fout rien, si j'avais su, j'aurai pas voté pour lui. Je suis pas raciste, j'ai été avec des musulmans, mais pourquoi accepter que des mosquées soient construites ?". Que dire fasse à tout ça ? Que faire ? je ne trouve de meilleure réponse qu'avaler une gorgée de rosé. J'arrive juste à placer que la prochaine guerre mondiale, si elle doit arriver, sera au moins autant informatique qu'armes au poing. Le cassoulet est englouti, il est temps pour moi d'aller me coucher.
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Devant le monde se pressant devant la boutique, je tire avec appréhension mon numéro d'attente. 38. L'affichage lumineux indique que le numéro neuf est prié de se rendre au guichet A. Je pars faire des courses de Noël dans le grand magasin d'à côté. Je prends le temps, dans les rayons. J'achète enfin, et me fait faire un paquet cadeau. Lorsque j'entre à nouveau dans la boutique SNCF, le panneau LCD indique que le numéro 37 est au guichet B. Pile à temps. Je n'aurai que 5 minutes à attendre avant de pouvoir prendre mes deux aller-retours, le "site favori de l'année 2008" étant une nouvelle fois inaccessible.
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Elle a 30 ans. Et un nouveau copain, que je ne peux définitivement pas blairer. Il tente quelques morceaux d'humour, puis rit fort de ses blagues. Façon d'entrainer les autres dans sa chute. Je suis un des rares survivants de sa période d'"avant". En deux ans, son cercle amical a pratiquement été totalement renouvelé. Je ne connais que 4 des 16 personnes autour de cette table. Un jeune espagnol hurle la chanson que joue un guitariste devant lui. Il fait chaud dans la cave. Je suis là sans y être. Coincé entre un vieux couple, un couple très jeune et une fille dont le couple est trop frais pour y inviter son copain. Avec moi, on a là un bel échantillon de l'évolution sentimentale chez l'être humain. Etre le troisième plus vieux de la tablée ne rajoute pas à mon plaisir. Mais ça lui nuit moins que les odeurs de crevettes, moules et autres crustacés ainsi que de citron parfumant la dorade de ma voisine. Difficile d'apprécier une viande au roquefort dans ces conditions. Arrivé sur le trottoir, je profite de la confusion liée au choix de la fin de soirée pour titrer ma révérence, chapeau à la main.
Les vacances commencent enfin.
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